Un baptême de sable. Je me suis roulée dedans avant de taper sur une cloche. On était arrivés, pas vraiment le lendemain soir, mais le surlendemain matin, il était trois heures, on avait roulé 22 heures. J’avais pris le relais pendant qu’il dormait, il avait confiance, c’était super. Je me suis demandé si c’était pas un chauffeur qu’il cherchait, au final, parce que je crois pas qu’il y serait arrivé tout seul. Pas à trois heures du matin.
Les trois dernières heures, c’était à cul avec les autres véhicules. C’est lui qui tient le volant dans ce bouchon comme j’avais jamais vu, alors petit à petit je me suis endormie.
Le jeune bénévole à l’entrée nous demande si on est vierges. Ça fait marrer le type de Houston.
— Euh, je suis pas sûre de, euh... je bafouille.
— Oui, il me coupe et me sauve, le type de Houston, oui pour elle c’est la première fois.
Ah, okay, oui, je suis vierge alors.
Et alors, pour mon baptême, le bénévole me demande de me rouler dans le sable, je me roule dans le sable. Il est encore chaud. Du sable, c’est tout ce qu’il y a, dans le désert. Puis je marche derrière le jeune bénévole jusqu’à une sorte de portant comme dans les magasins de fringues. Deux grands x soutiennent la tringle où, dans les magasins, sont suspendus les cintres. Le portant est vert. Les x ont les jambes plus longues que les bras.
Le jeune bénévole me tend une barre de fer d’une trentaine de centimètres. Je souris, je fais quoi ? Il me demande de frapper la cloche. Ah ! c’est une cloche ce truc qui pend du centre de la tringle ! Ça ressemble à une bouteille de gaz dont on aurait découpé le cul. Je frappe, ça vibre dans ma main, waouh ! je dis.
Puis je répète ce que le jeune bénévole me dit de répéter : je ne suis plus vierge !
Ça l’amuse, je crie plus fort : je ne suis plus vierge !
Waouh ! j’ai rajouté encore une fois. Parce que ça faisait longtemps que j’avais pas eu l’occasion d’affirmer une telle connerie : je ne suis plus vierge.
Comme un gros troupeau qui se pose pour la nuit, tous les véhicules se cherchent un emplacement. C’est un vrai merdier.
— On va essayer de trouver entre 5 et 7 heures, me dit le type de Houston
— Il est trois heures du mat, pourquoi on doit attendre encore deux heures ?
Il rit.
— C’est le plan de la ville. Une ville en forme de montre, une montre ronde, avec des aiguilles, les rues c’est les heures, ça va de deux heures à dix heures. Six heures, c’est la rue du milieu. Alors entre cinq et sept, ce serait pas mal.
On a trouvé à cinq heures.
— Les rues avec les heures, elles pointent toutes vers la Playa, il m’explique encore tandis qu’on roule lentement à la recherche d’un emplacement. La Playa, c’est la plage en espagnol. Mais y a pas de mer, ici, il y avait un lac, il y a très longtemps. La Playa, tu verras, c’est le cœur de Burning Man, c’est là où se dressent le Man, l’homme qui va brûler samedi soir, et le temple, le temple il est brûlé le dimanche soir, et tout le reste, toutes les sculptures plus délirantes les unes que les autres, les constructions monumentales, les arts cars, et les gens ! Les gens ! Plus de 70 000 personnes ! Tu verras ça, ça en jette !
Les autres rues, celles qui coupent les heures, elles vont de A à L. Nous, c’est F.
— Suivant le thème de l’année, oui, chaque année on change de thème — il est sympa de m’expliquer comme ça — le F ça peut être pour Féérique ou pour Frankenstein, je dis n’importe quoi bien sûr, c’est juste pour t’expliquer comment ça fonctionne. Si tu mémorises 5h et F, tu peux pas te perdre.
Ce qui est génial, avec un camping-car, c’est que lorsque tu te poses, t’as plus rien à faire, qu’à ouvrir la bouteille de champagne pour fêter ça.
Ça promet d’en jeter grave.
On est crevés, mais le champagne fait du bien. Les 1500 kilomètres avalés en 22 heures, ça crée une complicité. Tout me plaît déjà et pourtant j’ai encore rien vu.
— C’est bon, je lui dis, je te l’achète ton ticket.
— Je te l’avais dit, il répond. Mais ça peut attendre demain.
Je tiens à lui faire un chèque.
— Te bile pas, je mettrai mon nom. Merci.
— Non, c’est moi qui te remercie.
J’en voulais pas, de chéquiers. J’ai deux cartes bancaires, et je peux aussi payer avec mon téléphone, pour quoi faire, un chéquier ? C’est mon mari, il aimait bien les chèques. Moi, je m’en sers jamais. Mais du coup, j’en ai toujours deux sur moi, pliés, j’avais même oublié qu’ils étaient là, au fond de la petite pochette de mon sac à main.
On se boit une seconde coupe. Bien frais, le champagne me claque sur les dents comme j’aime. C’est à partir de là que je me souviens plus de rien.