J’ai rejoint Frank dans la mare chaude. Il y vient régulièrement ôter son slip et soulager son bazar. Je comprends que c’est pas pour amuser la galerie qu’il se coiffe de son slip, c’est qu’il sait pas quoi en faire une fois retiré.
— Sur l’épaule, il m’explique, il finit par glisser.
— Il m’a droguée, le salaud, je réponds.
Mes lèvres sont à fleur d’eau lorsque je balance ça.
Lorsqu’il en rentre un peu dans ma bouche, je recrache. Frank retire le slip de sa tête et s’en frotte les bras, les épaules, le torse. Gestes lents, comme s’il les économisait.
— T’es revenue de la galaxie ? il me demande. Les petits bonshommes verts ont relâché leur étreinte sur ton esprit ?
— Tu y as jamais cru. Donne.
Je lui prends le slip des mains pour lui frotter le dos.
— Tu es gentille.
— Idiote tu veux dire. Je te parie ce que tu veux qu’il n’est pas de Houston. Pas si con, il allait pas me dire...
Des sanglots traversent ma voix, il allait pas me dire d’où il vient, ce salopard, je lâche encore, puis je préfère me taire. Sans m’en rendre compte, je frotte mon visage avec le slip de Frank. Il me regarde par- dessus son épaule.
— Tu sais que tu es en train de te servir de mon slip ? il ricane.
— Au point où j’en suis.
— Tu voudrais le retrouver ?
Je hausse les épaules, je me frotte le cou de son slip en boule dans ma main.
— Pour quoi faire ? je réponds.
— Oui, tu as sans doute raison. C’est plus sage.
— Tu crois que tes amis flics pourraient m’aider à le retrouver ?
— Tu as déjà changé d’avis ?
— Je sais pas, Frank, je sais pas ce que je veux. À part pleurer je suis bonne à rien. Je voudrais revenir en arrière et finir ma bière, remonter dans ma voiture et continuer mon chemin dans la direction opposée de Burning Man.
— Et si tu le retrouves ? Tu feras quoi ?
— J’en sais rien.
— À tout hasard, l’ami de mon ami a relevé les empreintes.
— Tu veux dire ?... Sur moi ?
— Quoi, sur toi ?
— Pendant que je dormais ? Les premiers jours ?
Il est venu prendre les empreintes sur mon corps ?
— Non, non. Et puis je crois pas qu’on puisse faire ça, sur la peau je veux dire. Mais sur une voiture, oui.
— Ma voiture ?
— Est-ce qu’il s’est assis dedans ? Est-ce qu’il l’a touchée à un moment ou à un autre ?
— J’en sais foutre rien. Non, non, je crois pas qu’il soit entré dedans. Le Navajo, oui, le Navajo l’a touchée. J’avais crevé, c’est un garagiste Navajo qui a réparé le pneu, je veux pas qu’il ait d’ennuis, il m’a pris que vingt dollars, mais même s’il m’avait pris plus, je veux pas qu’il ait d’ennuis.
— Je lui dirai d’éliminer l’Indien, alors... ahahah, éliminer l’Indien, ahahah, si les bonnes âmes m’entendaient avec leur esprit toujours mal tourné. L’éliminer des suspects, ahahah.
Lorsqu’il découvre ma tête de six pieds de long, il s’excuse d’avoir ri, je réponds rien, je lui dis pas qu’il a pas à s’excuser, qu’il est sympa de m’écouter, comme il avait dit dans la voiture lorsque c’était mon tour de l’écouter. Je pense aux empreintes, au nombre de doigts qui se sont posés partout, des milliers peut- être.
— Des empreintes, doit y en avoir, c’est pas ça qui doit manquer.
— Il n’a pas plu, mais beaucoup de vent, et du sable, alors l’ami de mon ami n’est pas sûr de pouvoir trouver une seule empreinte utilisable sur la carrosserie.
— C’est foutu alors. Je suis sûre qu’il n’est pas rentré, pourquoi il serait rentré ?
— Tu veux que je te frotte le dos à mon tour ?
— Quoi ?
— Retourne-toi, je vais te frotter le dos.
— Avec ton slip !
— Oui, avec mon slip.
Je vois bien qu’il se retient de rire.
— Enfin ce qu’il en reste. Ça fait dix minutes que tu le mâchouilles.
— Quoi ! Je le mâchouille !
Je recrache le coin du slip coincé entre mes dents.
Je le mâchouille pas, je le suçais comme un bébé suce son doudou. Il doit être hyper propre depuis qu’il est dans l’eau. J’essaie de m’en convaincre.
Depuis que je me suis réveillée chez lui, Frank évite tout contact. Je sais pas s’il faut attribuer ça à sa maladie ou à sa pudeur, sa délicatesse. C’est ce qu’il fait encore. D’autres auraient plaqué une main sur mon épaule ou mes reins pendant qu’ils me frottent le dos. C’est comme si Frank n’était pas là, je ne sens que les va-et-vient de la boule de son slip sur ma peau.
Je me laisse aller. Yeux fermés. Ne plus penser, surtout pas à cet homme, ne plus penser à rien, c’était pas des extraterrestres... ne plus penser à rien, ne plus penser à l’ordure qui... vider mon esprit. Je me concentre sur le frottement dans mon dos. Je sens que la boule de tissu est gênée par les bretelles et l’attache de mon soutien-gorge, elle évite tout contact, frotte ma peau entre, comme un taureau prisonnier d’un enclos électrifié. Je glisse mes mains dans mon dos, cli-clic, je défais l’attache et je retire mon soutif, libérant le slip. Je veux dire que le slip de Frank peut à présent me frotter le dos sans contrainte, sans entrave, un taureau libre au milieu d’hectares de pairies.