Je sais pas pourquoi je pose la question, je sais ce qu’il va me répondre.
— Baiser, il me répond.
C’est bien ce que je craignais. Je suis pas prête. Pas encore. Est-ce que je le serai un jour ? Prête à accueillir un homme ? J’ai jamais été consciente pendant que l’autre, le type qui n’est pas de Houston, me violait. Je pense à celles qui l’étaient, conscientes, qui l’ont senti en direct dans leur chair, leur violeur, sa bite qui force le passage, qui les déchire, pas plus de sentiment, d’émotion, de douceur qu’un marteau- piqueur défonçant l’angle creux d’un mur et y crachant son huile de moteur. Je l’entends parfois, ce marteau-piqueur, j’entends dans mon sexe ce bruit de perforation, de mitraillage. Ça me prend n’importe où, n’importe quand, de jour comme de nuit. Si je suis seule, je me recroqueville, je ferme les yeux. Si je suis en société, je dois vite m’isoler, abandonner ce que je suis en tain de faire, trouver un endroit au calme, m’allonger si je peux, ou me blottir contre un mur, m’asseoir entre deux meubles. L’intérieur de mon corps est un chantier. Les vibrations du marteau-piqueur qui me pilonne les parois du ventre me font trembler de la tête aux pieds, des bouts de moi se détachent, une poussière rouge s’échappe d’entre mes cuisses, une poussière qui râpe, brûle, une poussière rouge faite de milliards de pointes de silex qui me lacèrent de l’intérieur. Je repense aux lingettes pour bébé que j’utilisais après avoir baisé dans ma voiture, dans la pénombre du parking de mon boulot, et qui me faisaient pousser des boutons entre les poils de la chatte comme des champignons dans une forêt de chênes. Pourquoi je pense à ces lingettes ? Rien ne peut me laver, me débarrasser de... oui j’ai parfois l’impression que cette poussière d'entrailles a formé une croute contre les parois internes de mon sexe, une croûte qui rampe au-dehors et rend toute cette partie de mon corps insensible. Je sais pas si un jour je pourrais de nouveau accueillir un homme en moi.
Frank s’aperçoit de mon trouble.
— Ce n’est pas ce que tu penses, il me dit. Ce n’est pas toi... pas avec toi, je ne te demanderais pas ça. Mais Abril... Abril elle voudra, elle sera d’accord, on a déjà, elle et moi, avant tout ça, on a déjà couché plusieurs fois, il y a longtemps maintenant, c’est une femme formidable, je l’aime beaucoup.
Le problème, c’est pas Abril. Abril, elle est d’accord depuis longtemps. Non, le problème, c’est le bazar de Frank. Lui, ça fait longtemps qu’il veut plus.