Abril est venue. Piop attend dehors, il peut attendre des heures sans jamais manifester d’ennui.
— Samedi, John vient ici... dans l’après-midi, piop, piop.
Je me suis occupée du repas. J’ai fait des pâtes. On mange souvent des pâtes. Avec la sauce Alfredo, celle qui est blanche avec du fromage dedans. Beaucoup de fromage. C’est pas moi qui la fais, c’est le magasin. Frank adore la sauce Alfredo. J’aime bien aussi. Moi, ce qui me fait marrer dans cette sauce, c’est le type dessiné sur l’étiquette, et sur plein d’autres étiquettes, toujours le même type, il change de tenue en fonction de ce qu’il y a dans la conserve, ou la sauce. Pour la sauce Alfredo, par exemple, il porte un foulard rouge autour du cou. Pour la Ranch, un chapeau de cowboy. Parfois c’est une couronne de roi, d’autres fois il est habillé en paysan. C’est l’acteur, me dit Frank. Quel acteur ? Paul Newman, c’est lui sur les étiquettes. C’est lui qui fait la sauce.
— Paul Newman ? Il fait des sauces ?
— Il y a bien ce réalisateur, comment il s’appelle, qui fait du vin, bon sang, comment il s’appelle, celui qui a fait le Parrain ?
Mon mari aurait su.
Je dois pas les faire trop cuire, les pâtes, au début je les faisais trop cuire, il suffisait d’approcher la fourchette pour qu’elles se coupent toutes seules en petits morceaux, tellement elles étaient molles. Frank m’a appris. Et c’est vrai que mon mari les faisait comme Frank, lui aussi.
Avant les pâtes, Abril lui a fait la piqûre. Faut le temps que ça fasse effet, elle a expliqué. Je suis sortie, parce qu’il faut planter l’aiguille dans le sexe, juste après le gland, c’est Abril qui m’a encore expliqué, et Frank m’a demandé de sortir, il est pudique. J’ai regardé Piop regarder l’heure, parfois je lui parle, je lui demande s’il a déjà vu un serpent à sonnette, il répond jamais, même pas à Abril. J’ai entendu « ouch » à travers la porte, ça sortait de la bouche de Frank. Tu peux revenir ! m’a crié Abril. Frank faisait la grimace, ça va ? je lui ai demandé.
— Ça fait mal.
— Non, pas vraiment, est intervenue Abril.
— T’étais pas du côté douloureux de la seringue, il
a fait Frank.
— Ce qui fait mal, c’est que tu t’es contracté au moment où je te piquais, c’est ça qui fait mal.
— C’est bien ce que je dis, ça fait mal. J’espère au moins que ma nouille deviendra plus dure que tes pâtes, il a complété en riant.
Elles sont parfaites, mes pâtes, il me taquine. Piop rentre pour les manger avec nous, mais ça se voit trop qu’il est pressé de ressortir pour attendre John qui va venir samedi après-midi.
La piqûre, normalement, c’est plus efficace que les pilules bleues. Ils avaient tenté ça, les pilules, après son opération, pour faire l’amour, mais les pilules bleues, ça n’avait rien donné de sérieux, pas d’érection suffisamment concluante. Tout au plus un sursaut d’orgueil de quelques secondes qui tirait plus du dernier soubresaut du poisson rouge tombé sur un trottoir que d’une standing ovation, il disait Frank. Et à l’époque, pas question de piqûre. Il en avait assez bouffé, des piqûres. Et là, sur le gland, ça lui foutait une de ces trouilles ! Abril n’avait pas insisté, elle avait d’autres hommes dans sa vie — d’autres queues pour être plus précise, même si elle les choisissait avec soin et qu’elle n’aurait jamais couché avec une queue qui n’était pas prolongée par un type bien. Elle voulait pas forcer Frank à quoi que ce soit.
Et même la piqûre, c’est pas garanti. Tous les cachets qu’on lui a fait avaler, ça lui a pompé la libido, il dit Frank. Sans compter les séances de chimio et sans compter qu’on a fini par la lui retirer, la prostate, ça aide tout de même pour beaucoup à ne plus avoir d’érection du tout.