Que sait la tomate du tuteur qui lui permet de s’élever et profiter du soleil ? Collée à Abril, je n’existe plus. C’est elle seule qui à présent trouve sa cadence, et surtout sa marge de manœuvre, l’amplitude de quelques centimètres sur le baromètre de Frank, trop bas elle lui écrase le bazar, aïe ! trop haut, décrochage du module-pilon-de-poulet.
L’exercice ne semble pas lui déplaire. Difficile de savoir si elle feint pour donner le change à Frank. Il lui a demandé d’ôter le haut, mais bien sûr mon petit tigre, désolée, j’ai trop bu, elle fait en libérant ses deux satellites aussi ronds et charnus que deux belles pleines lunes, vas-y, viens. Elle lui prend les mains pour les poser sur ses tétons.
— Tu crois que ça va me manquer, de l’autre côté ?
— Tu crois que c’est le moment de penser à ça ? Tu veux venir sur moi ? Viens, viens sur moi.
— Non, non, s’il te plaît, ne bouge pas. Si, bouge, mais ne change pas de position, reste où tu es, tes seins sont chauds, ils ne font pas que me remplir les mains, d’ailleurs, tu vois, ils débordent. Ah ! Si tu pouvais sentir ce que je ressens, ils me remplissent le corps, aïe !
— Chut, tais-toi. J’aime la chaleur du sable, marcher pieds nus, j’aime tout ce qui est chaud, le feu, les braises, le vent la nuit...
Frank ne boit plus d’alcool depuis pas mal de temps, ce serait le contenu de la seringue qui le rend si poétique ? Je trouve ça poétique, ce qu’il dit. C’est beau. Ou alors c’est le sexe, c’est le sexe qui lui fait dire de si belles choses. Le sexe, l’amour, le partage, le corps de l’autre, j’avais déjà remarqué qu’il y a énormément de puissance dans tout ça, mais je savais pas que ça pouvait rendre poète.
— Oui, j’aime le vent du diable qui se lève depuis là-bas, loin dans l’intérieur des terres, le Nevada, chauffé dans le désert, les montagnes, et qui souffle jusqu’ici sur sa route vers la côte et l’océan. Tes seins me rappellent ce vent, ils attisent les incendies eux aussi, en moi, tes seins poussent en moi un feu qui ne brûle pas. C’est comme... comme un feu de vie.
— Tu as raconté les mêmes salades à toutes les femmes que tu as baisées ?
Frank rougit. Abril éclate de rire, aïe crie Frank. — Mais elles te faisaient le même effet, c’est ça ? — Oui, mais j’ai jamais osé le dire.
— Les seins nourriciers des femmes !
— Pas que les seins.
— Non, tu as raison, pas que les seins.
Après trois secondes de réflexion, il ajoute : je les aime toutes.
Frank me regarde. Je ne suis pas tout à fait transparente.
— Désolé de t’obliger à...
Je lui coupe la parole.
— T’occupe pas de moi. Prends ton pied, fais comme si j’étais pas là.
— Tu pourrais peut-être nous laisser, s’enhardit Abril.
— Tu crois que je peux ?
— Pourquoi pas ?
Je la lâche progressivement. Elle tient droite quelques secondes, j’ai pas le temps de faire un pas en arrière, elle oscille, son corps s’affaisse de quelques centimètres, quelques centimètres qui s’enfoncent dans le bazar de Frank aussi facilement que les dents d’une fourchette dans une motte de purée. Il hurle nooooon !
Je rattrape Abril.
— Reste, reste, elle me dit.
Je reprends ma place.
— Ça va ? je demande à Frank.
Il a tout fermé, les yeux, les narines, la bouche.
— Pardon mon petit tigre. Tiens, reprends mes seins, pardon, je t’ai fait affreusement mal, voilà, reprends du feu. Comment tu dis qu’il s’appelle ton vent ?
La voix de Frank siffle doucement entre ses lèvres serrées comme un étau.
— Le vent du diable.
— Ça me plaît. Je suis ton vent du diable, mon petit tigre. Allez...
Elle accélère le rythme sans sortir de son échelle contrôlée, ne pas démâter vers le haut, ne pas piler, écraser, transformer en concentré de douleur vers le bas.
— Oui, murmure Frank, oui.
Ça devient sérieux. Frank pince encore les lèvres, mais pas de douleur cette fois, ses doigts se resserrent autour de la poitrine d'Abril, poitrine qu’il ne lâche pas un seul instant. Ses paumes en sont pleines comme d’une fontaine de chair. Je les prendrais bien à pleines mains moi aussi, ça fait envie, cette générosité, y enfoncer mes doigts, laisser leur pâte de chair remplir le vide entre eux, combler le vide, les laisser recouvrir mes ongles, mes phalanges, laisser mes mains se faire absorber. Je sens le vent du diable sur ma peau. Il est chaud.